Conduite sur ordonnance : Tous à la visite médicale

Conduite sur ordonnance : Tous à la visite médicale

Conduite sur ordonnance : Tous à la visite médicale

Le projet de visite médicale obligatoire des automobilistes se précise. Annoncée par le gouvernement en 2002, elle devrait voir le jour fin 2004. Appliquée aux candidats au permis et aux conducteurs de plus de 75 ans, elle sera progressivement étendue à l’ensemble des titulaires du permis de conduire.

Le rapport Domont, commandé par le gouvernement et qui définit les grandes lignes de la future loi, précise que le certificat médical d’aptitude à la conduite sera délivré par l’ensemble des médecins généralistes. Il reposera sur “un examen approfondi du patient, éventuellement complété par des investigations paracliniques courantes (analyse d’urine, contrôle de la vue, examens biologiques…) et (ou) par des avis de spécialistes”. Cet examen devra être effectué tous les dix ans jusqu’à 65 ans, tous les cinq ans entre 65 et 75 ans et tous les trois ans au-delà.
Faute de pouvoir généraliser d’emblée le certificat médical d’aptitude à la conduite aux 40 millions de conducteurs français, le gouvernement a choisi de concentrer son action dans un premier temps, fin 2004, sur les deux populations présentant le risque le plus important d’être tuées ou impliquées dans un accident de la circulation, c’est-à-dire les jeunes, à travers les candidats au permis de conduire, et les plus de 75 ans. En moyenne 110 jeunes de 18 à 29 ans sont impliqués dans un accident pour 100000 km parcourus. Ce chiffre décroît ensuite progressivement avec l’âge (jusqu’à 56 pour les 50 à 64 ans), avant de remonter à 83 individus impliqués pour les 65 ans et plus. Cette étape transitoire va permettre de passer peu à peu de 1,16 million de visites par an, dans un premier temps, à 4,43 millions lorsque la visite médicale sera généralisée à tous les conducteurs.
Si les populations qui seront concernées fin 2004 semblent bien définies (candidats au permis et conducteurs de plus de 75 ans), il n’en est pas de même pour les modalités d’application de la visite médicale. Un point est établi: le médecin délivrera aux personnes qu’il juge aptes à la conduite un certificat d’absence de contre-indication à communiquer à la préfecture pour faire revalider son permis. En revanche, les ministères de la Santé et des Transports ne se sont toujours pas accordés sur son -contenu. Devra-t-il ou non mentionner les raisons de l’incapacité à la conduite? Le débat reste ouvert. Il pose l’épineuse question du secret médical.
La visite médicale des automobilistes, le Dr Boccara, médecin coordinateur à la commission départementale des permis de conduire de la préfecture de police de Paris, la pratique déjà en délivrant des certificats d’aptitude aux professionnels de la conduite et en examinant les automobilistes et motards venus récupérer leur permis de conduire après un retrait. “Les pathologies les plus fréquemment rencontrées sont le diabète et les intoxications alcooliques, suivies des affections cardiovasculaires, sans oublier la surconsommation d’anxiolytiques et de psychotropes. Mais cette visite est particulièrement utile dans le cas de problèmes liés à l’alcool.

De nombreuses personnes sont touchées par l’alcoolisme mondain. Nous pouvons leur faire prendre conscience de cette consommation excessive de tous les jours. Et le permis de conduire -constitue un puissant levier pour éventuellement leur faire suivre une prise en charge.”

Une formation spécifique
De l’avis de l’ensemble des médecins contactés, cette visite constitue un véritable outil de sécurité routière. S’il partage cet avis, le Dr Boccara est en revanche beaucoup plus réservé sur le fait qu’elle soit effectuée par le médecin de famille. “Cela pose de nombreux problèmes. Les médecins généralistes n’ont pas reçu de formation (lui-même a dû suivre un stage d’une semaine pour être agréé par la préfecture de police de Paris) et manquent d’expérience dans le domaine de la sécurité routière. Ils vont procéder seuls à l’examen de la personne, alors que dans les commissions de la préfecture de police faisant passer l’examen médical – comme dans toutes les commissions médicales – nous sommes toujours deux. Enfin, je pense que cette visite est difficilement compatible avec la relation que le médecin entretient habituellement avec son malade. Il faudrait au minimum que les patients passent la visite chez un autre médecin que leur généraliste habituel.”
Plus concrètement, se pose le problème de l’équipement des cabinets médicaux. Ainsi, dans le cas d’un examen de la vision latérale – pathologie dont les personnes touchées ont rarement conscience et qui pose de graves problèmes de sécurité au volant –, un médecin généraliste a pour tout matériel son doigt… à déplacer de droite à gauche devant les yeux de son patient.
Dans tous les cas, la mise en place et la généralisation de la visite médicale obligatoire pour tous les conducteurs va surtout bouleverser un acquis social: la possibilité de conduire une voiture sans limite d’âge. Le permis était déjà “à points”, il était surtout à vie. Jusqu’à présent, l’unique cas de retrait de permis pour une affection concernait l’hospitalisation d’office dans un service psychiatrique. En comptabilisant les automobilistes dont l’acuité visuelle est inférieure à cinq dixièmes, qui ont des problèmes d’Alzheimer, ou d’arthrose empêchant de tourner la tête, on estime à 2 millions le nombre de permis qu’il faudrait retirer sur le champ.
Cette privation de volant, le Dr Boccara y est confronté au quotidien: “Lorsque je ne rends pas son permis à une personne ayant commis une infraction, je lui explique avant tout que c’est pour la protéger. Elle accepte généralement la situation. Mais parfois, cela se passe très, très mal, on vous accuse d’abus de pouvoir. Généralement, les gens qui réagissent le plus mal sont d’ailleurs ceux qui sont réfractaires à toute prise en charge thérapeutique.”

Une approche tolérante
Pour le Dr Zanlonghi, ophtalmologiste et coauteur du rapport Domont sur l’évaluation médicale de l’aptitude à la conduite, il ne fait aucun doute que “les normes d’aptitude à la conduite doivent être mises en application en douceur. Tant que le dispositif sera dans sa phase de lancement, vraisemblablement pendant plusieurs années, les médecins seront très tolérants. Le but de ce dispositif médical est avant tout d’informer la population que certaines maladies sont incompatibles avec la conduite”.
Par ailleurs le rapport suggère “des modulations du permis pour satisfaire aux nécessités essentielles de la vie courante”. Cette disposition, dont il faut espérer qu’elle sera reprise dans le texte de loi, devrait permettre de laisser conduire sur de petites distances – dans le département et ceux limitrophes – des personnes habitant en milieu rural, où l’abandon de la voiture entraîne une désocialisation brutale. De la même façon, dans certains cas de troubles de la vision, les -conducteurs pourraient n’être interdits de rouler que la nuit.
Pourquoi dès lors ne pas simplement informer les automobilistes pour les inciter à lâcher d’eux-mêmes le volant? “Je rencontre hélas des personnes qui continuent à conduire alors qu’elles n’en ont plus les aptitudes, regrette le Dr Zanlonghi. Le dispositif qui va être mis en place me permettra d’agir face aux automobilistes imperméables à tous les arguments. A moins qu’ils soient prêts à prendre le risque de rouler sans permis. La médiatisation de la visite médicale a déjà des vertus. Nous voyons apparaître en consultation des conducteurs qui viennent spontanément pour savoir s’ils sont toujours aptes à la conduite.”